Elle Shelby
"Elle est un drôle de prénom, qui va bien au drôle de bout de femme qu'il désigne. S'il fallait la décrire en un mot, ce serait inattendu. Peut-être même imprévisible.
Les gens la trouve douce, prévenante, souriante. Moi je vois surtout cet espère d'humour cynique et déroutant qu'elle se traîne en permanence. Elle se donne des grands airs, la petite, mais elle ne fait pas dans la dentelle. Si tu la fais chier, tu le sauras, et elle a pas peur de balancer tout haut ce que certains pense tout bas. Mais malgré tout, on la voit rarement au beau milieu des emmerdes. Les gens évitent de se la mettre à dos, elle en fait de même. Tout va bien dans le meilleur des mondes. Et contrairement à beaucoup de gosses dans cette fac à la con, la fortune de son père ne la rend ni insupportable ni hautaine, alors que sa famille est le symbole même de la réussite, de la richesse, de l’influence.
Pendant longtemps, elle tenait le journal du campus puis elle a passé la présidence à son petit ami du moment, qu'elle a lui-même largué peu de temps après. Elle papillonne, elle vagabonde. Allez savoir pourquoi. Allez savoir ce qui se passe. Ces derniers jours, elle semble tout foutre en l'air. Elle passe à autre chose. Elle a bien raison, ça fait du bien de temps à autres."
"J'ai l'impression de couler. De ne jamais savoir quoi faire, quoi dire. Quand j'essaie de mettre des mots sur ce qui se passe dans ma tête, c'est comme si personne n'en avait rien à foutre. C'est totalement ça en réalité. Ils en ont tous rien à foutre. Alors je fais comme si. Comme si je vivais bien. Comme si j'étais heureuse. Comme si rien ne m'atteignait. Au risque de paraître dramatique, non, je ne suis pas heureuse. J'en ai marre, plein de cul, ras le bol. Temps mort, foutez moi la paix.
Je peux supporter beaucoup de choses. Pendant longtemps, j'en ai supporté beaucoup. J'ai su dire "ça ira mieux" à la dépression, "ça va passer à la maladie" et "c'est la vie" à la mort, mais là je crois que j'ai atteint le stade final. L'emmerde de trop. Stop. Arrêtez tout, je vais finir par me tirer une balle. Me casser loin. Vivre en ermite jusqu'à ce que le Xannax m'étouffe. Je sais pas.
Je sais plus.
C'est drôle, quand même, tout ça. Ils s'imaginent tous que j'ai les épaules pour le supporter. Que Papa m'a bien appris à être une fille forte. Que je vais faire comme tous les autres et vivre ma vie de rêve parce que c'était à ça qu'on m'a destinée pendant longtemps. C'est drôle, parce que ce n'est pas le putain de cas. C'est drôle parce que j'en suis à un stade où je n'arrive même plus à pleurer. Juste à gueuler sur le monde quand c'est trop et à faire bon genre.
«Enfin quoi, reste positive Elle. Il y a bien un moment où tout va s'arranger. Une bonne nuit de sommeil et c'est repartit.»
Mon cul oui."